À l’occasion de la première montréalaise de The SoCalled Movie, NIGHTLIFE vous propose cette entrevue réalisée avec l’accordéoniste hip-hop pendant que les caméras de Gary Beitel roulaient.
Josh Dolgin, alias SoCalled, est l’intensité même. Sur scène, son regard intimidant, presque fou, rappelle celui du Doc Brown dans Back to the Future.
En cette belle journée printanière, cependant, il a l’œil un peu moins assuré. Dans son antre d’un coin du Mile-End à forte concentration hassidique – un fouillis de vieux vinyles et de joujoux électroniques situé au bout d’un dédale à travers lequel son gérant nous aura heureusement guidés –, il y a foule.
Outre le soussigné, notre photographe et un ami moustachu de Josh qui s’affaire à rouler un joint sur une pochette de disque se trouve en effet une équipe de tournage de l’Office national du film, qui suit le musicien de trente ans dans ses moindres gestes. «Qu’est-ce que vous faites tous ici? Vous n’avez pas des vraies jobs?» proteste-t-il, en blague. On se sentira comme dans une émission de télé-réalité jusqu’à la fin de l’entrevue, après quoi le pétard sera allumé et tout ce beau monde se passera la chose tout en grignotant des cornichons. Pittoresque.
Connu des branchouilles nord-américaines depuis deux ans à peine (soit depuis la parution de son deuxième album, The SoCalled Seder, en 2005), celui qui rappe, chante, joue de l’accordéon, du piano, du beatbox et plein d’autres choses encore a déjà, dans les milieux juifs, une réputation qui justifie la présence de caméras. En plus de donner un nouveau souffle à la musique traditionnelle juive en la mêlant au hip-hop, ce qu’il fait depuis 15 ans maintenant, il a joué avec le groupe montréalais Shtreiml, la formation californienne Aleph Project, le groupe torontois Beyond the Pale et a dirigé le chœur Addath Israel. «Dernièrement, j’ai dû laisser tomber plusieurs de ces projets. Je suis trop occupé avec mes propres trucs», souligne le natif de Chelsea, en Outaouais, précisant qu’il continue d’accompagner la chanteuse country locale Katie Moore en tant que pianiste.
C’est pour un projet tout autre que des caméras le suivent aujourd’hui: dans deux jours, il quitte pour une «croisière klezmer» sur la rivière Dnieper, en Ukraine. Un périple pour lequel 150 passagers désireux de visiter une terre juive ancestrale sur fond de klezmer se sont inscrits. Josh est fébrile: «c’est une autre de mes idées stupides qui s’est transformée en grosse opération!» Il en a souvent, des comme ça: films, dessins pornographiques, photos, tours de magie, quelques années comme critique musical pour l’hebdo Hour…
«Je fais beaucoup de choses, mais rien particulièrement bien.» En France et en Allemagne, on n’est pas d’accord. SoCalled est une vedette montante, là-bas. «C’est surtout à cause de ce clarinettiste, David Krakauer, explique Josh. J’ai tourné avec lui en France. Ça a fait circuler mon nom.» Comme plusieurs autres membres du milieu klezmer, Krakauer a été séduit par The SoCalled Seder. «Il y a une sorte de renaissance du klezmer en Allemagne et en France. […] Quand j’ai fait entendre ma musique aux gens de ce milieu, plusieurs ont trouvé ça visionnaire et m’ont engagé pour faire des trucs, jouer dans leurs festivals.» Résultat: son troisième album, l’excellent Ghettoblaster, lancé en France en 2006, puis réédité chez nous à l’été 2007.
C’est la faute au hip-hop
Josh est juif, mais c’est la musique qui l’a mené à découvrir ses racines, et non l’inverse. «Je célébrais les fêtes avec ma famille, j’allais à la synagogue de temps à autre, j’ai eu une barmitzvah, mais c’était une version séculaire et assimilée du judaïsme, explique-t-il. J’ai appris l’hébreu mais pas à le comprendre. Je n’avais jamais cru que c’était cool d’être juif.»
Ce sont ses talents de pianiste qui l’ont entraîné, dès le secondaire, à mélanger les genres musicaux. «Sur les recommandations d’un de mes profs, j’ai été amené à jouer dans un groupe de salsa. Ensuite dans un groupe de gospel, puis un groupe de blues, puis un groupe de funk.» C’est ce dernier genre qui avait les faveurs de l’adolescent. «Tout mon univers tournait autour de James Brown, des J.B.’s et de George Clinton. Ensuite, j’ai découvert le hip-hop. Je me suis dit: "Cool! C’est comme le funk mais avec des sons plus modernes!" J’aimais qu’on y entende l’évolution de la musique noire, et sentir qu’on pouvait en faire avec un minimum d’équipement.» Armé d’une machine à rythme et d’un clavier, Josh s’est mis à programmer des beats dans le sous-sol de ses parents, féru de Snoop Dogg, des Beastie Boys et du Wu-Tang Clan.
Son passe-temps a pris une tournure inattendue à son arrivée à Montréal, pour des études en littérature à McGill. «J’avais un sampler. Je cherchais les échantillonnages les plus bizarres possible. Je suis allé à l’Armée du Salut, au Chaînon, dans les ventes de garage, dans les poubelles. C’est finalement en bas de la rue, sur Parc, que j’ai trouvé ce vieux disque d’Aaron Lebedev, une grande star de théâtre Yiddish. Je l’ai mis et… C’était plein de breaks, comme dans le hip-hop! Je me suis mis à chercher d’autres disques du genre et à les échantillonner. Pas pour être différent ni pour faire un statement, juste parce que c’était en plein les sons que je cherchais.»
Son entrée dans le milieu klezmer s’est fait tout aussi accidentellement. «Je me suis rendu aux ateliers KlezKanada, au nord de Montréal, pour recueillir des sons avec mon enregistreuse à mini-disques. Je pensais que ça serait quétaine mais j’y ai vu cette femme de 75 ans qui faisait le meilleur beat que je n’avais jamais entendu, ce type qui chantait à me faire fondre le visage et plein de gens qui jouaient des instruments étranges. Je me suis dit: "Wow! Il faut que je joue cette musique!"»
Culture club
Josh a découvert une mine d’or musicale, dans le patrimoine juif, pas une cause. «Je ne me soucie pas plus de Dieu, je ne crois pas en la Bible. Je hais la religion, ça me met en colère, déclare le musicien. Mais je réalise que la religion a créé cette culture magnifique que j’adore. Je crois que suis surtout attaché à son côté esthétique.»
«C’est un paradoxe étrange, poursuit-il. Je hais les communautés ghettoïsées, exclusives, ces gens qui ne partagent pas et qui se cachent des autres. Mais j’adore la culture. Et je réalise que la culture se développe dans des environnements protégés. J’adore la musique hassidique, mais la façon dont les Hassidims vivent ici, sans parler à leurs voisins, en isolement, me rend triste. Je souhaiterais qu’on puisse tout partager et échanger. Mon disque s’appelle Ghettoblaster parce qu’il parle de faire éclater les ghettos.»
Point de politique pour SoCalled, donc. «J’écris des hits. Pas juste pour les Juifs, pas pour que les gens se mettent à écouter du klezmer. S’il y a un message politique, c’est que les gens devraient s’entendre et apprécier les différences, parce qu’elles font ressortir le meilleur en eux.»
Golem de scène et de studio
Sur scène, SoCalled se révèle un entertainer comme on n’en fait plus. Son sens de l’humour caustique fait qu’on rit parfois autant qu’on danse. Pas pour rien que notre équipe lui a décerné la bourse de la relève NIGHTLIFE, lors de l’édition 2006 du festival Pop Montréal. «C’est tout récent que je me sente à l’aise d’être drôle, sur scène, témoigne-t-il. Je me suis longtemps efforcé de rester sérieux, justement parce que je voulais que les gens me prennent au sérieux. Mais j’ai réalisé que c’est correct, aussi, d’être drôle. Ça aide à faire passer ton message.»
Après deux albums qui reposaient surtout sur l’échantillonnage, il s’est lancé tête première dans les collaborations, pour son dernier-né. Ghettoblaster regroupe pas moins de quarante invités, dont Gonzales (que Josh connaît depuis qu’il a 13 ans), le pianiste de 93 ans Irving Fields (dont Josh a facilité la venue à Montréal, au début 2006), le tromboniste Fred Wesley (anciennement des J.B.’s et de Funkadelic… «L’homme le plus funky sur cette planète», selon Josh), le chanteur yiddish de 80 ans Theodore Bikel, le rappeur C-Rayz Waltz ainsi que les figures locales Ganesh Anandan, Sans Pression, Giselle C. Weber et Kali, pour ne nommer que ceux-là.
«C’était la chance de mettre ensemble tous les gens avec qui je voulais travailler», note Josh, qui s’est souvent rendu auprès de ses invités, ce qui l’a amené à visiter environ 15 studios à travers le monde. «C’est une combinaison de "OK, voici ce dont j’ai besoin" et de tricotage autour de ces idées. C’est souvent pendant les moments d’improvisation que les trucs super se sont produits.»
Dans ses démarches, SoCalled a noué des liens inespérés et constate que sa trajectoire en est finalement une en forme de boucle. «Le funk m’a mené au hip-hop, le hip-hop m’a mené au klezmer et le klezmer, à trouver mon identité en tant qu’artiste. Maintenant, j’ai la chance de travailler avec des gens comme Fred Wesley, le tromboniste original des J.B.’s! C’est mon plus grand héros, LA raison entre toutes qui m’a poussé à faire de la musique, s’exclame Josh. C’est drôle que j’aie dû suivre ce parcours weird pour revenir à ce que j’aime depuis toujours. Sauf que maintenant, j’ai quelque chose à lui apporter.»
Première montréalaise de The SoCalled Movie
3 juin | Fédération ukrainienne
5213, Hutchison
Également à l’affiche:
4-11 juin | Cinéma du Parc
3575, av. du Parc
5-8 juin et 10 juin | Centre Segal (CinemaSpace)
5170, Côte Sainte-Catherine
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