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The Flaming Lips: première communion

Wayne Coyne se comporte en entrevue comme il se comporte sur scène. Loquace, chaleureux, il répond à chaque question comme s’il récitait un conte de Noël, entre volontiers dans les détails et s’émerveille de tout et de rien, comme durant ces grandes messes que sont devenus les concerts des vétérans de l’Oklahoma, lors lesquelles il parle et parle jusqu’à induire l’hypnose.

Du coup, les vingt minutes qu’il m’accorde s’écoulent beaucoup trop vite. On a quand même le temps de parler de l’état de santé du guitariste/bassiste Steven Drozd, dont la récente hospitalisation a entraîné l’annulation de quelques concerts; de la fameuse et opulente formule live de sa troupe, qui comprend des danseurs costumés, des confettis et une bulle géante dans laquelle Coyne se promène au-dessus de la foule; ainsi que du virage musical que les Flaming Lips semblent avoir pris avec leur plus récent album studio, Embryonic, paru l’automne dernier. Bulletin doux:

Vous vous apprêtez à retrouver le Métropolis, votre salle de prédilection à Montréal. J’étais là lorsque vous y avez joué pour la première fois, en 1993, en première partie des Stone Temple Pilots. As-tu des souvenirs de ce concert ou de cette tournée en particulier?
Oh, wow! Je pense même que c’était en 92. Non, tu as peut-être raison… 93, oui! Jésus! Ça fait longtemps! On est en 2010! Ça fait 16-17 ans! Jésus! Eh bien, on a encore quelques liens avec les Stone Temple Pilots. On a donné beaucoup de concerts avec eux. Je pense que les Butthole Surfers étaient sur cette tournée, aussi. Je ne sais pas si je me souviens de ce show en particulier. Si je m’asseyais avec le groupe et qu’on échangeait des souvenirs, peut-être qu’on se remémorerait soudainement d’un tapis de l’arrière-scène ou quelque chose du genre… Nous côtoyions souvent les Stone Temple Pilots, à l’époque. Je ne sais pas pourquoi. J’ai vu récemment qu’ils étaient réunis à nouveau. Je les ai vus au Mexique, je crois. Mais pour répondre à ta question, concernant ce show en particulier, je te dirais: pas nécessairement. De tels souvenirs se fondent les uns aux autres et souvent, à moins que quelqu’un me montre un vidéo, ça ne me colle pas vraiment à l’esprit. Désolé!

Ha ha! Y’a pas de mal. Comment va Steven?
Il semble aller très bien. Il sortira bientôt de l’endroit où il est et on va commencer à préparer tout ce qui doit arriver en juin. J’ai hâte! J’espère que tout va bien aller! Parce que sinon, hein, qu’est-ce qu’on va faire? Notre groupe en dépend!

La vie de tournée est-elle encore aussi épuisante, à ce stade de votre carrière? D’un côté, vous êtes beaucoup mieux entourés qu’il y a 15 ans. De l’autre, vos concerts sont maintenant de grosses productions…
Eh bien, je ne sais pas si c’est parce que je suis en meilleure forme ou parce que je comprends mieux les choses, mais je la trouve beaucoup moins stressante qu’avant. Il y a une moins grande part d’inconnu. Souvent, on peut prendre toute une journée pour tester le système de son d’une salle. Quand le public arrive, on peut au moins se dire qu’on a fait tout ce qui est en notre pouvoir pour que ça se passe bien. Évidemment, il y aura toujours des problèmes et rien n’est jamais parfait. Mais si je sais qu’on a fait tout ce qu’on a pu pour bien nous préparer; si je m’efforce d’être complètement présent et de bien profiter du moment; si je suis vraiment avec le public et que je lui parle, que je l’aime et que je lui montre que je suis content qu’il soit là, je me sens alors en confiance.

Tu sais, ça n’est pas si compliqué que ça, donner un show rock. Le public vient pour passer du bon temps, il ne se soucie pas que toutes les notes soient jouées parfaitement. Selon moi, ce qu’il préfère, c’est le moment qu’on passe ensemble. Il veut sentir qu’il fait partie du truc. Il ne veut pas que ça se passe comme dans un film, qui débute et se conclut sans qu’il puisse réaliser qu’il est dans la salle avec nous. Il faut qu’il sente qu’on passe un moment spécial ensemble, que cette soirée peut être la plus spéciale de nos vies à tous. Et je crois que ça peut être le cas! Les Flaming Lips ne donnent pas des centaines de concerts par année, seulement 40 ou 50! Je crois qu’ils peuvent tous être magiques à leur façon. Des fois, ça ne se passe pas de façon aussi spectaculaire qu’on le souhaiterait. Sauf que l’essentiel de ce qui se passe durant un concert dépend d’expériences personnelles. Quelqu’un dans la salle peut vivre la plus belle soirée de sa vie, même si le groupe passe une horrible soirée. Tout est subjectif!

Vous êtes connus pour vos concerts édifiants, extatiques. Comment faites-vous pour créer cette atmosphère les soirs où, par exemple, un membre ne va pas bien ou est fatigué? Devez-vous redoubler d’efforts ou est-ce que le contexte est suffisant pour vous remettre d’aplomb?
C’est très difficile. Je joue toujours quand je suis malade. On n’a pas le choix, il faut y aller. Mais il y a bel et bien une magie qui s’installe quand le public est là. Ça envoie une charge d’adrénaline et ça rend les choses différentes. C’est parfois suffisant pour sortir de l’humeur dans laquelle on se trouvait une heure avant le début du concert. En ce qui me concerne, si je peux me tenir debout et parler, je vais probablement m’en sortir, quoi qu’il arrive. Quand on y pense, un show rock dure rarement plus de deux heures. Et deux heures, ça n’est pas si long pour un être humain normalement constitué. Je l’ai souvent fait quand j’étais mal en point. On se dit: «mais je n’y arriverai jamais!» Mais on le fait quand même. Il arrive que ça se passe mal, mais… C’est rare. Ça se dégrade rarement au point d’en devenir une corvée. Évidemment, tout se passe mieux quand on est heureux et en bonne santé. C’est un show, après tout!

Cela dit, les concerts qui vont moins bien peuvent donner lieu à de bons moments, toutes proportions gardées. Nous en avons donné un de ce genre, au Texas, en mars; l’électricité a manqué par trois fois au début du concert! À partir de ce moment, le public et le groupe se trouvent ensemble dans le même bateau. Tout le monde fait collectivement de son mieux pour que ça fonctionne. Tout le monde est uni, le problème nous lie mieux que si on donnait le concert parfait! C’est le genre de chose qui arrive souvent dans mon coin, en Oklahoma, où des tornades passent environ 20 fois par année. Quand l’électricité manque dans notre quartier, tout le monde sort sur sa pelouse et se parle, puisqu’on vit tous une expérience qui nous lie. Je pense que c’est la même chose dans un concert. Si quelque chose ne va pas, il faut en faire acte, le reconnaître, s’en excuser et recommencer. La pire chose à faire, selon moi, est de prétendre que tout va bien, parce que le public peut très bien voir quand ce n’est pas le cas. Il ne s’en soucie pas trop, de toute façon. Il s’agit simplement d’en rire, tous ensemble.

Pour la tournée d’At War With the Mystics, les costumes de vos danseurs semblaient suivre une thématique «les extra-terrestres contre le Père Noël»…
Pas pour toute la tournée… On changeait souvent. Mais à Montréal, c’est ce que nous avions, oui…

OK. Et cette fois, y a-t-il un thème? Je crois avoir aperçu une girafe sur YouTube…
Pendant un temps nous avions toujours une sorte ou une autre d’animal, effectivement. Mais en ce moment, si je ne m’abuse, nous utilisons des costumes de DJ Lance Rock, qui est un personnage d’une fort populaire émission psychédélique pour enfants, appelée Yo Gabba Gabba! On peut acheter le costume en ligne. Il est plutôt fantastique. Il inclut un drôle de chapeau et des lunettes. Tous les danseurs enfilent cet habit. Je ne sais pas ce qu’il signifie, mais c’est un chouette costume! On a des DJ magiques avec nous sur scène! Cela dit, on change tout le temps. Dès qu’on trouve un costume absurde qu’on peut acheter en 50 exemplaires, on l’essaie!

J’ai lu une entrevue où tu disais réaliser et accepter que le public, à ce stade, s’attende à ce que vous donniez des concerts hauts en couleur. N’avez-vous pas quand même parfois envie de changer la formule, de faire quelque chose de plus minimaliste?
Oh, je ne sais pas… Il y a effectivement des choses qu’une partie de notre public espère trouver, en venant au show, comme la bulle de l’espace, notre écran vidéo trop brillant… Mais à l’intérieur de ces deux heures, il nous reste quand même suffisamment de temps pour faire tout ce qu’on veut. Les chansons d’Embryonic sont très étranges, elles sont menaçantes et sombres et pourtant, on arrive à les faire cohabiter avec quelque chose d’aussi ridicule que She Don’t Use Jelly, que nous jouons depuis 1993, comme tu sais.

Je ne pense pas que quiconque souhaite entendre la même chose deux heures durant. Tout le monde cherche quelque chose de dynamique; un peu de lourdeur, un peu de couleur, un peu de glauque… Tout le monde veut du contraste. C’est comme quand tu sors manger. Tu ne veux pas juste de la viande de hamburger. Tu veux de la diversité, des bougies, du vin, de la conversation… Bref, je n’ai pas à m’inquiéter d’avoir à changer quoi que ce soit au concert, puisqu’on y a déjà assez de latitude. Son cadre nous permet d’y changer des choses à notre guise. On n’a pas à faire tout le temps la même chose.

Cela dit, je souhaite aussi qu’on y retrouve l’esprit des concerts que j’ai vus quand j’étais jeune. Quand j’allais voir The Who ou Led Zeppelin, je savais qu’ils allaient jouer mes chansons préférées. Je ne connaissais pas toutes les chansons, je ne savais pas lesquelles ils allaient jouer en particulier, mais je savais que j’allais retrouver mes préférées. Si tu joues devant des gros auditoires, tu veux qu’ils retrouvent la musique qu’ils aiment. Je ne vois jamais ça comme quelque chose de contraignant. Je veux que le public vienne, je veux qu’il entende ses chansons préférées et je veux que ça soit un gros show!

On joue encore Do You Realize? Parfois, c’est la dernière chanson du concert. Chaque soir, au moins une personne vient me voir pour me dire: «ma mère est morte il y a six mois et c’est la première fois que je sors et que je souris depuis», ou: «c’était la chanson qui a joué à notre mariage, il y a trois ans». De constater qu’une de ses chansons a eu un tel impact, de connecter ainsi avec les gens, c’est la chose la plus merveilleuse qui peut arriver à un artiste! Sur le plan artistique, on peut voir ça comme une limite, mais il reste en masse de place pour être créatif.

Tu as mentionné le ton menaçant d’Embryonic. Quelque chose semble avoir changé dans l’univers des Flaming Lips, avec cet album. Toute la phase qui a commencé avec The Soft Bulletin et a duré jusqu’à At War With the Mystics semble s’être terminée avec cet album. Vos set lists récents et votre reprise de Dark Side of The Moon semblent confirmer que vous en avez terminé avec la pop éclatante des dernières années. Est-ce vraiment ce qui est en train d’arriver?
Eh bien… On dirait que oui! Je ne pense pas qu’on l’a fait exprès. On ne fait que suivre l’éruption incontrôlable de nos subconscients. On a consciemment décidé de faire un album double, avec Embryonic. On s’est préparé en conséquence, on a amassé toutes ces chansons et sur le plan stylistique, on avait certaines choses en tête. En sachant que ça allait être un album double, on ouvrait la porte à toutes sortes d’élan capricieux et d’idées pompeuses… On en voulait sur le disque! À partir de ce moment, quelque chose est bel et bien arrivé. Quelque chose a changé. Je l’ai senti au fond de moi. Je me suis mis à vouloir entendre une partie plus primitive et fucked up de nous et on a assouvi cette envie. Avec une chanson comme See the Leaves, par exemple: elle vient d’un simple jam session, un jam étrange, distordu, qu’on a tous intensément aimé sur le coup. C’était cinq minutes particulièrement grisantes! Ensuite, on s’est bien dit: «ouais, mais ça n’est pas vraiment une chanson». Mais je me suis dit: «fuck it, on n’a qu’à faire ce qu’il faut pour la transformer en super chanson!»

Quelque chose a bel et bien changé en moi, mais je ne sais pas quoi. Chose certaine, j’aime ça. C’est très dur de suivre ses intuitions, parce qu’elles sont invisibles et que, quand tu fais de la musique, tout est possible! Mais c’est important de s’écouter, quand on a envie d’explorer une direction précise. Je sais qu’on a changé. Ça me dérange un peu de t’entendre le dire, parce que je sais que c’est vrai, mais que je ne sais pas quel fil s’est rompu, ni si ça va durer ou non… C’est intrigant.

J’ai lu que votre récente reprise de l’album Dark Side of the Moon, de Pink Floyd, avait été planifiée et enregistrée très rapidement, sans trop y réfléchir. Vous «poussez» maintenant cet album comme s’il s’agissait d’un album régulier et en jouez même des extraits en spectacle. Avec le recul, avez-vous retiré quelque chose de cette expérience?
Nous avions envie de le refaire à la note près depuis longtemps, mais c’était originalement pensé pour être une collection de pièces à télécharger sur iTunes; un extra, si tu veux. En le faisant, nous nous sommes rendu compte que nos reprises dégageaient elles aussi ce petit quelque chose de menaçant que nous avions commencé à explorer avec Embryonic… Enfin, pas toutes; certaines chansons sont jouées par le groupe de mon neveu (NDLR: Stardeath and the White Dwarfs) et je nous trouve très doux et pastoraux, en comparaison. Mais Eclipse, Breath et même The Great Gig in the Sky ont un certain cachet. Elles semblent primales, agressives et étranges.

Nous en sommes fiers, dans un sens. Ça reste évidemment une curiosité pour ceux qui connaissent ce disque. Tu ne trouveras pas beaucoup de musiciens dans le monde qui ne le connaissent pas! Bref, on ne savait pas si qui que ce soit l’aimerait, puis on nous a demandé de le jouer à quelques reprises, ces derniers mois. On s’est dit: «Pourquoi pas? Ce sera une autre corde à notre arc». On l’a joué à Bonnaroo, on va le rejouer plus tard cet automne, mais je ne sais pas si on va le jouer encore longtemps. C’est un projet intéressant, en tout cas. Ce sont d’excellentes chansons, qui renferment un message puissant: «tout ce que tu touches, tout ce que tu vois, c’est tout ce que ta vie sera». On n’a pas fait de meilleure musique! Bien des gens renient Dark Side of the Moon parce qu’il est si populaire, parce qu’il n’est pas très punk-rock, mais je ne suis pas d’accord. Je trouve que ça reste un des meilleurs disques jamais faits.

The Flaming Lips
7 juillet | Métropolis
59, Sainte-Catherine E.
avec Fang Island
www.flaminglips.com