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Filly & the Flops: hors du temps

Auteur: Olivier Lalande
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Filly & the Flops: hors du temps

L’amie était un peu rébarbative à l’idée d’aller voir un concert de rockabilly. «Chu pas trop rockabill’…» qu’elle me lance. Je lui rétorque évidemment que moi non plus, qu’il ne s’agit pas de rockabilly à brillantine et à tatoos, mais plutôt de rock à son état le plus pur: Wanda Jackson, les Collin Kids, Janis Martin… «Ah, parce qu’en plus c’est un band de covers?» Mais oui, c’est ce que la pétillante chanteuse Felicity Hamer fait lorsqu’elle n’est pas avec les United Steel Workers of Montreal. Scepticisme, scepticisme…

Scepticisme déjoué: l’amie a craqué et on a dansé, jeudi au Divan orange. Pour peu qu’on aime le rock, difficile, en effet, de résister à l’expertise de Filly & the Flops. En quelques morceaux, on oublie tout à fait à quel genre de musique exact on a affaire. Le matériel date, mais la maîtrise sonore du groupe le propulse hors du temps.

À gauche, le guitariste Gabriel Lambert sort des sonorités irréprochables de sa Telecaster: trempées de reverb, mais précises; lourdes, même. Il pourrait tout aussi bien jouer dans un groupe de shoegaze ou de post-rock, et pourtant son jeu n’est pas moins authentique pour autant. À droite, Kevin McNeilly, à la guitare acoustique, double parfois les solos du précédent et ajoute du swing à l’ensemble. Derrière, le batteur Éric Thibodeau est précis et nerveux. Puis, devant, l’attrait numéro deux de l’affaire: le contrebassiste Eddy Blake (aussi des USWM), dont la dextérité impressionne autant que le showmanship et le mauvais français fait rire. Exceptionnellement, il n’est pas monté sur sa contrebasse, ce soir-là. Vrai que le groupe s’est montré un tantinet plus empoté que d’habitude, mais il fallait l’avoir déjà vu pour le remarquer, et encore là, on était loin du déraillement. La cerise sur le sundae est que tout ce beau monde livre des harmonies vocales chatoyantes typiquement fifties, détail souvent oublié chez les groupes donnant dans le vintage.

Enfin, Hamer elle-même: à la fois gracieuse et abrasive, délicate et musclée. Avec son timbre nasillard unique, sorte de version punk de celui de Wanda Jackson, et sa présence vivante, animée et naturelle, elle donne vraiment du corps au répertoire qu’elle emprunte. Parfois, elle fixe le plafond d’un air possédé: on sent le courant passer et on danse de plus belle. Ses versions de «Let’s Have a Party», de Jackson, «Come a Little Closer» des Collin Kids et de «Love Me to Pieces» et «Let’s Elope Baby» de Janis Martin sont des moments forts de chaque concert. Dernièrement, elle a un peu étendu son répertoire: les Collin Kids font notamment l’objet d’autres reprises.

Puis, il y a toutes celles que je ne saurais identifier… Je ne prétendrai pas être un spécialiste du rockabilly, mais justement: aucun besoin de l’être pour se brasser le camarade avec Filly & the Flops. Comme une mécanique bien huilée, le groupe fait onduler les épaules dès qu’il se met à «on», ne lâche pas avant la fin du rappel et largue en masse de bonbons pour les oreilles en cours de route.

Avec toute l’inventivité dont la scène montréalaise fait preuve, il y a parfois de quoi regarder les groupes de reprises de haut, mais pas celui-ci. Sa vigueur et son habileté le classent assurément dans l’élite rock locale.

Ci-dessous, une captation de sa reprise de «Devil in Disguise», popularisée par Elvis en 1963.