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Le countryman montréalais Li’l Andy fait le point sur une œuvre charnière

Les albums indépendants passent souvent sans laisser de trace. All Who Thirst Come to the Waters, le deuxième album du countryman montréalais Li’l Andy, paru en mai 2010, est l’un de ces albums qui restent.

Hommage au gospel des années 30 axé sur la quête spirituelle à une époque de totale désacralisation, l’opus a été enregistré à l’Église Saint-Jean Baptiste, dont il a retenu toute l’âme et l’acoustique spacieuse, en compagnie des musiciens du barde: le jouer de lapsteel émérite Joe Grass, le guitariste Josh McConnell, le batteur Ben Caissie, le contrebassiste Mark Peetsma et le violoniste Joshua Zubot. Il en a résulté une magnifique et puissante tranche de country noir qui prendra à nouveau vie sur scène cette semaine au Rialto, en première partie du cirque macabre des concitoyens The Unsettlers.

C’était un prétexte comme un autre pour prendre des nouvelles du sieur Andy, un an et demi après qu’il nous ait parlé de son œuvre une première fois. Il a tenu à procéder par courriel puisque, comme il le dit lui-même, il n’a pas de cellulaire «et n’en aura jamais». Mais avant, regardons ces images de l’enregistrement de l’album, qui ont été utilisées pour faire un vidéoclip pour la pièce «Gospel Train, Keep Rollin’».

Un an et demi ont passé depuis la sortie d’All Who Thirst Come to the Waters… Avec le recul, comment vois-tu cet épisode? As-tu accompli ce que tu voulais?
C’est drôle. Quand j’ai commencé et que j’ai réalisé que j’étais en train de faire un album gospel, je me suis dit: «cet album va être un chef-d'œuvre religieux!» (rires) Plusieurs mois après, j’ai eu une sorte d’«antiépiphanie». J’ai réalisé qu’il n’y avait aucun moyen de faire aujourd’hui quelque chose d’aussi purement dévot que l’art religieux du passé. On ne peut juste pas humainement avoir le même genre de foi. On est encombré de trop d’autres façons de voir le monde, maintenant. Et ce doute est handicapant.

Donc, cet album est devenu un document de ce doute, de cette anxiété. C’est le son d’un rampement dans le noir, vers cette lumière dont traite la Bible. Le son d’une âme abandonnée qui cherche Dieu. Mais parfois, après un concert, quelqu’un vient me voir et m’avoue avoir toujours secrètement aimé la musique gospel – un peu comme une confession. Dans ces moments, j’aime penser que j’ai réussi ce que je cherchais à faire avec ce disque.

Tu m’as déjà dit que tu trouvais souvent les idées de tes chansons en te promenant et que plusieurs chansons de l'album t’étaient venues après des visites dans des églises et des hôpitaux. Y a-t-il des endroits qui ont particulièrement marqué All Who Thirst…?
Il y a cette aile de l’Hôpital Général de Montréal que j’ai découvert en m’y promenant, un jour. C’est une énorme salle de bal avec des planchers en bois et une vue sur le fleuve. Le genre d’endroit où l’on a dû tenir des danses pour les soldats blessés durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a un piano à queue. J’en jouais parfois – et je chantais quand il n’y avait personne autour. Pendant les mois où je m’y arrêtais, il y avait parfois une femme en collier cervical qui jouait du Chopin ou divers concertos pour piano. Je m’assoyais et je faisais semblant de lire en l’écoutant. Quelques chansons ont été écrites de cette façon. Je ne lui ai jamais parlé. Puis, un jour, elle n’était plus là. Guérie et rentrée à la maison, sans doute.

Dans «On my way to Heaven», tu dis que tu es entré dans une résidence pour personnes âgées et que tu t’es assis au pied du lit d’un étranger. As-tu fait ça pour vrai?
Pas littéralement. Il y a eu cette étrange période durant mes ballades dans les hôpitaux où j’allais m’asseoir dans les salles d’attente ou les urgences et attendais que quelqu’un en détresse s’y présente. Pui, j’allais parler à ces gens. Je ne sais pas ce que je faisais. Je crois que je lisais trop de biographies sur les saints. On ne peut regarder la douleur droit dans les yeux de la sorte pendant trop longtemps et garder son moral. On se sent forcément comme une sorte de voyeur.

Le concert Dimanche sacré durant la dernière édition de Pop Montréal a vraiment été un des moments forts du festival, pour moi. C’est un peu la suite de ce que tu as fait avec ton album. Allez-vous le refaire l’an prochain? Comment montez-vous cet événement et comment choisissez-vous les invités ainsi que le matériel qu’on y joue?
Tout ça, c’est l’idée de Patrick Watson. Il m’a juste demandé de jouer à la première édition, l’an dernier, parce que lui et son groupe avaient donné un concert à la chapelle de l’Église Saint-Jean Baptiste quelques semaines avant qu’on y enregistre notre album. Puis, cette année, il m’a confié une plus grosse part de l’organisation parce qu’il était occupé à mixer son nouvel album. Les gens semblent aimer ces concerts. Peut-être est-ce à cause du format «spectacle religieux de variétés» du truc. Les gens continuent de venir; on va sûrement le refaire l’an prochain si on est en ville.

De Leonard Cohen à Arcade Fire en passant par toi, il y a toujours eu une forte présence spirituelle dans la musique montréalaise. Y a-t-il quelque chose dans cette ville qui exacerbe les sensibilités religieuses?
Eh bien, chaque fois que tu sors d’un bar à 3h, il y a quand même une croix illuminée au sommet de la montagne. Ça aide. Et dans l’architecture, il y a beaucoup de traces du passé catholique du Québec.

Mais Montréal est aussi une ville qui a perdu sa foi. Va à n’importe quelle église le dimanche et tu verras que la congrégation n’est pas faite de familles pour qui la religion est centrale. Les bancs sont remplis de gens qui vont là seuls. Ils vont à l’église pour se souvenir de quelqu’un qu’ils ont perdu. Une mère ou un père avec qui jadis, ils allaient à la messe.

Puisque cette partie du monde a pratiquement abandonné la religion, les artistes n’ont pas à craindre que leur art puisse satisfaire un quelconque mouvement chrétien de droite. Peut-être que si je vivais dans le sud des États-Unis, j’aurais peur de ça. Plein d’Américains me trouvent fou de chanter ce genre de musique.

Que faire après avoir enregistré une œuvre aussi majestueuse dans une église? Pourras-tu retourner dans un minuscule et studio conventionnel?
Cet été, on a enregistré une chanson dans un vieux théâtre de cinéma et de vaudeville à Sackville. La billetterie en cabine et le rideau rouge s’y trouvaient encore. C’était comme enregistrer une chanson à l’intérieur d’un roman de Robertson Davies. On m’a dit que le dernier événement officiel qui s’était tenu là remontait à 1902. En guise de percussions, notre batteur cognait du pied sur le plancher de bois et frappait sa bouteille de bière de son anneau de mariage.

En ce qui concerne le prochain album, je suis devenu pas mal obsédé par les trains. Ils ont toujours été au cœur de la musique country, mais il me semble aussi que la seule façon de parler des technologies qui nous emportent aujourd’hui est d’examiner comment les machines d’il y a deux cents ans accaparaient les gens de l’époque. Et quand tu veux évoquer la puissance d’une locomotive à vapeur, tu dois jouer fort. Donc, je crois qu’une bonne partie des nouvelles chansons seront des chansons, euh, rock.

Tu joues avec les Unsettlers vendredi. Un programme bien assorti, il va sans dire. Comment les as-tu connus?
On a donné un concert ensemble au Club Lambi, il y a quelques années. Je jouais en solo à la guitare acoustique. Il y a au Lambi un luminaire multicolore au plafond qualifié de «semi-intelligent», puisqu’il tourne au rythme de la musique. Il était brisé le soir de notre concert, mais j’ai demandé à Ramon, le propriétaire, s’il pouvait le réparer et l’allumer à temps pour mon set. Il est monté sur un escabeau et il l’a rafistolé, donc pendant ma prestation toute calme et silencieuse, il y avait des éclairages disco rotatifs! Les Unsettlers ont trouvé ça pas mal drôle.

À l’époque, les Unsettlers n’avaient pas encore le cirque ambulant (le Blue Mushroom Syrkus Psyshow) avec eux sur scène. Maintenant, leur show est encore plus fou – que je sache, il n’y a pas d’autre groupe en ville qui donne un aussi bon concert sur le plan visuel.

À quoi doit-on s’attendre de ton show vendredi? Seras-tu avec le groupe au complet?
Oui. On va tenter de convertir les masses.

Fais-tu encore ton émission de radio à CKUT?
Oui. Ça s’appelle The Country Classics Hour and c’est chaque dimanche de 20h à 21h. Moi, Katie Moore, Julia Kater (du groupe Kate & Edith) et Dara Weiss (de Yonder Hill) partageons le micro. On l’anime à tour de rôle; celui qui n’est pas à l’extérieur de la ville ou en tournée cette semaine-là l’anime.

Quand j’étais à l’école secondaire, mon frère, qui a une voix bien plus radiophonique que la mienne, a lancé une radio étudiante. On pouvait faire jouer ce qu'on voulait durant l’heure du lunch dans la cafeteria. Mais le directeur adjoint m’a mis dehors parce que les employés de la cafeteria n’appréciaient pas que je mette autant de Sonic Youth. Mon frère a démissionné en guise de protestation. Bref, c’est chouette de pouvoir faire de la radio à nouveau.

Li’l Andy
11 novembre | Rialto
5723, Du Parc
avec The Unsettlers, Johnny Griffin et The Blue Mushroom Sirkus Psyshow