La pop est si souvent une affaire de façades, de chasses gardées, de stratégies et d’illusions qu’on est toujours un peu décontenancé d’y trouver un peu de naturel, un visage à découvert.
C’est assurément l’effet que provoque Fanny Bloom. En musique comme en personne. Cette désinvolture qui a fait le charme de La Patère rose, le groupe qu’elle a mené avec Thomas Hébert et Julien Harbec de Misteur Valaire, de 2003 à 2011, est instantanément perceptible chez la jeune femme, qui aura 26 ans ce mois-ci.
Souriante, chaleureuse, mais pas bullshiteuse, elle affiche plus d’entregent que d’ego. Se révèle spontanément, n’impose aucun filtre. Sacre comme un charretier, mais demeure gracieuse, relativement pimpante. Passe du plus grave au plus anodin sans sourciller. Parle, ne monologue pas. Elle porte ses émotions comme un t-shirt mou.
«Je sais que je suis capable d’en mettre», dira-t-elle à propos de l’exubérance parfois démontrée sur scène, «mais je l’exprime comme je le sens sur le moment. C’est ce que ma mère n’a jamais compris. Quand j’étais jeune et que je pétais des crises, elle disait: ‘bon, tu fais du théâtre!’ Moi, j’étais comme: ‘Non! C’est comme ça que j’me sens!’»
La nouvelle Fanny Bloom solo, la Fanny Bloom qui lance ce mois-ci son premier album, Apprentie guerrière, n’est cependant plus tout à fait la même que la Fanny pétillante de la Patère. La dissolution du groupe à l’été 2011 lui a laissé une blessure profonde que son nouveau matériel, forcément, chronique. Pas de façon explicite. «Ça laisse place à l’imagination. J’aime pas quand les chansons sont trop précises», témoigne-t-elle. L’atmosphère lourde et prenante, au-delà de ses teintes synth-pop vaguement eighties, ne laisse cependant pas de doute: ceci est un album de rupture.
«DES ruptures, corrige Fanny. Mettons que les deux dernières années ont été assez… Pas le fun. Vraiment pas le fun. J’ai fait des choses pas correctes. J’ai blessé des gens. Et je me suis sentie coupable longtemps. Ça a donné ça.»
LA PATÈRE NOIRE
Elle a blessé et a été blessée. On le sait: la décision de saborder la Patère rose, alors que le groupe était sur une belle lancée et venait de faire une percée en France, n’est pas venue d’elle, mais bien du camp de Misteur Valaire. «Il y a eu des conflits d’horaire dès le début, en fait. C’est devenu infernal pas longtemps après parce que les deux bands avaient beaucoup de dates de spectacles. C’était constamment la guerre entre les deux gérances. Le climat n’était pas très sain», raconte Fanny.
Si elle s’est toujours attendue à ce que l’aventure soit de courte durée, elle estime que sa fin (décidée dès l’automne 2010, soit bien avant l’émouvant concert d’adieu de juin 2011 au Cabaret du Mile-End) a été mal manoeuvrée. «Ça s’est fait tout croche. Les gars, par maladresse je pense, ont voulu m’épargner certains trucs, ce qui a rendu les choses vraiment pires plus tard. Et puis il y a eu des façons d’agir du côté de leur gérance que j’ai trouvées totalement déplacées! Il en est né une escalade de haine dans les deux clans. Moi, j’étais enragée. Je trouvais que les façons de penser étaient tellement centrées sur eux. Finalement, c’est normal, tu veux que ton band fonctionne, alors tu fais tout pour, mais il y a eu des coups de cochon, des affaires que j’ai trouvées vraiment injustes. Ils parlaient comme si ça n’avait aucune importance. Ils ont pris des décisions dans mon dos et m’ont mis devant le fait accompli.»
«Mais de toute cette haine est né le désir de kicker des culs en tabarnak, pis de faire ‘ah ouin, c’est ça? Checke-moi ben. Je vais avoir une plus grande carrière que vous autres’. J’ai fini par me calmer, mais l’album était déjà fait. Tant mieux.»
Étonnamment, les membres sont tous demeurés en bons termes. «On a essayé de se préserver. On est encore très, très bons amis. Plus que des amis, en fait. On a passé le jour de l’an tous ensemble. Je leur souhaite du beau bonheur, des belles carrières, pis une façon juste de voir les choses, gérée par des personnes qui sauront les mener où ils méritent d’être.»
DÉCAPOTE
L’envol solo aura permis à Fanny de procéder à une réinvention à laquelle elle aspirait. «J’étais comme tannée d’être un bébé. Relis les titres des tounes de la Patère, tout ce que ça dit, c’est: «pop, bonbon, rose, blablabliblublu, les bulles», tout le kit… Ça me tapait sur les nerfs. Je savais que j’avais une autre dimension, plus profonde.
Et j’avais bien des choses à évacuer.»
En compagnie d’Étienne Dupuis-Cloutier – frère du Jérôme du même nom et réalisateur de productions saluées pour Grenadine, Alice & the Intellects ainsi que Waikiki, le dernier EP de la Patère (il a aussi remplacé Jules à quelques reprises sur scène) –, elle s’est forgé une nouvelle identité sonore durant plus d’une année de planification, de composition, de préproduction et d’enregistrement.
«Avant même de commencer la création avec Étienne, on en avait déjà beaucoup parlé. J’ai eu le temps de vraiment lui expliquer ce que je voulais et surtout ce que je ne voulais pas. On s’est fait écouter de la musique, des vidéos… On a vraiment passé des heures à en parler», relate la chanteuse. Elle ne cache pas avoir puisé dans le travail de la Suédoise Lykke Li. «Je cherchais un peu le même genre de froideur, de darkness. Des beats beaucoup plus lourds, plus noirs. Je ne voulais plus que ça soit frivole.»
Le titre Apprentie guerrière, ainsi que le texte de la pièce du même nom, viennent quant à eux de Stéphane Lafleur d’Avec pas d’casque, seule contribution extérieure à la composition, outre l’apport de ses nouveaux musiciens (la bassiste Laurence Lafond-Beaulne, le batteur Philippe Bilodeau, le guitariste Benny BBQ ainsi que Dupuis-Cloutier aux claviers et guitares).
Fanny s’est bien entourée, mais Apprentie guerrière est son opération de A à Z. Sous ses dehors spontanés, elle serait une redoutable geek perfectionniste (et l’album s’en ressent agréablement). «Je m’attarde à tout! Le reverb dans la voix, le coup de drum qui n’est pas assez fort, la cymbale qu’on entend de trop loin, la typographie sur la pochette… Au bout du compte, ce sont ces petits détails qui font la différence. Y’a tellement de choses qui sont laissées au hasard.»
Et l’ambition? Encore là, l’odeur est faible, mais il y en a. Modérément. «C’est l’amour avant tout! J’ai pas envie de trop m’éloigner du monde que j’aime. J’haïs ça être dépaysée trop longtemps. Ça me fait chier. Y’a comme une partie de moi qui est vraiment pantouflarde. Mais il y a aussi l’autre partie qui veut vraiment tout décrisser. Je sais pas, je vais essayer de trouver un juste un milieu.»
«J’ai quand même beaucoup d’idées dans ma tête. Je veux faire des choses qui ne sont pas permises au Québec! Parce qu’on a peur… Mon Dieu qu’on a peur! Je ne dis pas que mon album correspond vraiment à ça en ce moment, mais en même temps, on est vraiment allés dans les détails. Peut-être qu’il n’y aura que moi, Étienne et d’autres geeks de musique pour déceler les particularités; peut-être qu’à l’oreille de quelqu’un qui n’écoute pas tant de musique, ça sera imperceptible, mais c’était quand même important d’aller ailleurs. Et je crois qu’on l’a fait.»
Regarde la vidéo du making of de la couverture NIGHTLIFE.CA avec Fanny Bloom
Fanny Bloom
6 mars | La Tulipe
4530, Papineau
fannybloom.com