Critique de «Triptyque»: Robert Lepage et Pedro Pires signent un film très fouillé, mais dégoulinant de symbolisme
Paul CongeTriptyque, le nouveau-né de Robert Lepage et Pedro Pires, était venu ouvrir le Festival du Nouveau Cinéma à la manière d’un coup de scalpel. Et ce scalpel n’a, croyez-nous, rien de métaphorique. Transposé depuis Lipsynch, la pièce fleuve de Lepage, Triptyque est une fable neuropsychologique, toute saupoudrée de sépia (ce qui affecte un peu la photographie), qui parle de trajectoires qui coïncident et de destins qui se mélangent.
On pourra, à loisir, regarder Triptyque pour l’attachante malice de Michelle (Lise Castonguay), le charisme germanisant de Thomas (Hans Piesbergen), la pétillante exubérance de Marie (Frédérike Bédard). Ces trois-là, propulsés par les aléas de l’existence, se croisent à un instant précis de leur vie où ils sont pris tous en même temps dans un réseau de circonstances propices pour se réinventer.
Coïncidences théâtrales
Lepage est réputé pour ses antécédents dramaturgiques. Rien d’étonnant, donc, à ce que Triptyque déplie une structure théâtrale en trois volets. On est conduit, mécaniquement, à chercher tout ce qui se ressemble (léger désordre cérébral pour tout le monde), à débusquer les sens partagés (besoin fondamental de se libérer de leur condition), à interroger les coïncidences, les intersections, qu’elles qu’en soient la sorte. C’est même tout le fil directeur, que de questionner les vertus de ces rencontres quasi-fortuites.
Et, si ce parti pris formel est assumé, Triptyque ne s’épargne pas l’écueil de surligner ces similitudes trop fort. Michelle, à peine sortie d’asile, tombe pile au bon moment sur un chirurgien du cerveau reconverti dans les traitements médicamenteux. Marie, après son opération, élimine de sa mémoire les quelques souvenirs importants (de son père) qui pilotaient toute sa vie. À force d’appuyer les coïncidences, l'intrigue se remplit d'artifices. Pris dans ces dérives, tout le monde décline. Dès lors, comment reproduire les paradis perdus? Chacun s'attèle tant bien que mal à retrouver les voix égarées, les passions poétiques échappées. Le langage, au coeur du sujet, vient gouverner la difficile reconversion.
La médecine prend le pas
En plongeant son bistouri dans la matière médicale, Triptyque montre la médecine qui prend le pas sur la personne. Pilules, chirurgie et internements psychiatriques viennent secouer les vies. Hallucinations, pertes de mémoire, pertes de contrôle se mêlent à la partie. Et, piochant ses personnages dans des contextes sociaux aux antipodes les uns des autres, le film peut jouer sur une collision d’univers qui n’ont, a priori, rien à faire ensemble: la médecine, l’art, la croyance. Au risque de quelques anachronismes (la vision des zones du cortex fondues dans la voûte de la chapelle Sixtine), le cerveau devient la pierre angulaire du film: centre de la mémoire et du langage (l’essentiel de l’effectif thématique), il passe de création à créateur.
C’est la scène de l’opération à crâne ouvert, pétrifiante, qui incarne très exactement ce choix: le cerveau est à l’air, trituré par le scalpel chirurgical, et Marie perd sous nos yeux l’usage de la parole qu’elle devra retrouver. C’est le prix et l’enjeu de la reconversion. Tous ces fils rouges font de Triptyque un film très fouillé, mais dégoulinant de symbolisme.