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Avec «Trois», Mani Soleymanlou boucle la boucle sur une réflexion identitaire à la portée universelle
Crédit: Jérémie Battaglia

Il va sans dire que le climat social dans lequel baigne notre belle province a beaucoup évolué depuis que le comédien et metteur en scène Mani Soleymanlou a présenté pour la première fois Un, réflexion identitaire éminemment pertinente sous forme de solo théâtral. À l’époque, Soleymanlou, né à Téhéran mais ayant grandi entre Paris, Ottawa, Toronto et Montréal, témoignait de l’ambivalence qui l’habitait à l’égard de son pays d’origine, ne sachant trop comment vivre la terrible crise politique que traversait alors l’Iran.
 
Depuis, il y a eu le succès retentissant de Deux, qui poursuivait son questionnement ancré dans le mal-être identitaire, l’exil et le déracinement en confrontant Mani à son ami Manu (Emmanuel Schwartz), d’origine juive et canadienne-française. Présenté en pleine campagne pro-charte du PQ en septembre dernier, Soleymanlou a vite compris que son écriture avait non seulement semé quelque chose en lui, mais qu’il jouait dans des platebandes très personnelles, invitant chaque spectateur à entamer sa propre réflexion.
 
Après avoir présenté différentes moutures d’Un au Canada anglais, à Paris et en Angleterre, Soleymanlou conclut son triptyque explosif se situant quelque part entre théâtre et performance avec Trois, dans lequel Schwartz et 42 nouveaux participants s’approprient son discours, afin de tirer quelques conclusions (leçons?) de cette émouvante confrontation identitaire. Nightlife.ca s’est entretenu avec un Soleymanlou fébrile mais débordant d’enthousiasme à quelques jours de la première de Trois au Festival TransAmériques.

 
Au départ, tu ne voyais pas plus loin qu’Un?
En effet. Ce n’était pas voulu, tout ça. C’était supposé durer un soir. Le doute était toujours là. Je me demandais, who cares? Lorsque je l’ai présenté au Théâtre de Quat’Sous, sous forme de carte blanche en sortant de l’École [nationale de théâtre], je me disais, c’est correct, mes amis viennent voir Mani parler de lui et ça se termine là. Je continuerai ensuite ma vie d’acteur.
 
Parce que l’idée même de faire un spectacle dans lequel tu abordes l’Iran et tes questionnements identitaires, ça ne t’emballait pas particulièrement.
Pas pantoute. Déjà comme acteur, j’ai un casting. À la télé, j’évacue toute possibilité de jouer un terroriste ou un chauffeur de taxi, parce que tant qu’il y en a pour le faire, ça alimente la chose. Ma responsabilité comme acteur et comme immigrant, c’est de ne pas nourrir le préjugé. Mais disons que je ne voulais pas revenir à ça au théâtre, où on est déjà plus libre pour créer sans code.
 
Dans Deux, tu évoques d’ailleurs l'idée de vouloir faire du personnage de l’immigrant quelqu’un de digne, et non «juste un chauffeur de taxi».
En effet. Mais tout ça, c’est un accident. Je n’avais jamais envie de parler de ça. Et au final, tu finis de parler de l’Immigration avec un grand «I» et de l’Identité avec un «I» majuscule.
 
Après Deux, dans lequel tu confrontes ton mal-être identitaire à celui de ton ami Emmanuel Schwartz, pourquoi as-tu voulu élargir le spectre de la réflexion en invitant 42 nouveaux visages à monter sur scène à tes côtés?
Avec Un, c’était facile d’être sur scène tout seul et de réfléchir à ça. Avec Deux, il y avait déjà un conflit, mais avec Trois, on peut s’imaginer ce que c’est que d’avoir cette discussion avec une quarantaine de personnes. On le voit dans la société, on voit ce que ça fait lorsqu’on parle de charte, de nationalisme, de religion. C’est chaud comme sujet. Je pense profondément que la charte, c’est une bêtise, que les gens disent des choses sur la place publique qui blessent. C’est important qu’on parle de ces choses-là en société.
J’imagine que le processus d’écriture a été assez particulier avec autant de collaborateurs?
Oui. Je leur ai envoyé un questionnaire à remplir, qui m’a servi de base pour Trois. J’ai eu des 15 pages par personne… j’aurais pu faire 43 solos. Des trucs super intimes, hallucinants; les gens étaient tellement ouverts et prêts à se livrer. Le texte est signé «Mani en collaboration avec tout le monde», car je ne me considère pas auteur. L’idée est de remplir toutes ces chaises de gens qui ont le droit de dire comment ils se sentent, d’où ils viennent.
 
Le processus est aussi stimulant que de se lever debout pour interpréter Molière. Dans Trois, on se demande ça veut dire quoi, être Québécois? Aller à l’église? Aller à la guerre? Vivre avec l’autre? Aux femmes enceintes sur scène, qu’ont-elles envie de léguer à leurs enfants? Le processus est débile.
 
Qu’est-ce qui t'a le plus surpris des réactions du public?
Ça m’a pris du temps à comprendre l’étendue de ce que j’avais dit, de comment quelqu’un d’autre pouvait s’approprier mon histoire, à la base si personnelle. Qu’un Breton à Paris vienne me dire, «je ne sais pas ce qu’il reste de Breton en moi». T’es à deux heures de chez vous! (rires) De réaliser que c’est un questionnement universel. De savoir qu’un Iranien qui a voyagé, ça rejoint quelqu’un qui habite au Yukon, à Vancouver ou à Brighton. Une femme anglaise est venue me voir en larmes il y a quelques semaines pour me dire qu’elle se sentait pareille. C’est énorme! C’est super émouvant…et même gênant.
 
Trois
Du 30 septembre au 17 octobre 2014 au Théâtre d’Aujourd’hui

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