La semaine dernière, une bombe était larguée dans l'univers étroit du rap queb: deux gars se sont embrassés devant une foule malaisée. Sur la bouche. Pendant une joute, aux WordUp! Battles.
C'est que l'un d'eux a profité de son premier round pour simuler un coming out, écorchant au passage son adversaire pour l'abus de «Ton père est fif» qu'on lui connaît bien.
Au second round: coup de théâtre, il n'est pas gay. C'était une mise en scène pour engendrer réactions, malaises et débats. Il termine en questionnant: «Si j't'embrasse, qu'est-ce tu vas faire?» — L'opposant, contre toute attente, s'est hâté de poser les lèvres sur celles du candidat qui n'avait visiblement pas prévu un tel dénouement.
Et pour la suite, ce qui s'est dit sur les médias sociaux, fallait bien s'y attendre. J'ai vu défiler dans mon newsfeed bon nombre de messages de haine adressés aux deux dudes, comme quoi «On n'en veut pas des affaires de même dans le rap québécois!!!» ou encore qu'on leur en crisserait une, si on les croisait sur la rue.
Dans un monde aussi close-minded que le rap, le gars est allé beaucoup plus loin que de seulement se positionner en faveur de l'homosexualité: il a fait le choix de ne pas renoncer à son droit d'être (ou d'avoir l'air) gay. Une liberté que bien des gars, hétéros, s'empressent de balayer du revers de la main.
M'est arrivé chose semblable, plus jeune, alors que j'entretenais un personnage Internet (Dj Mullet) et dont l'orientation sexuelle, qui dérangeait, nageait en pleine ambiguïté.
À l'époque, j'ai perdu la plupart de mes amis, d'enfance ou non, parce qu'on me pensait «un esti d'fif». On me fuyait comme la peste, par crainte que je mette de force leurs pénis dans ma bouche. On m'accusait de propagande homosexuelle et menaçait de m'en sacrer toute une si le petit frère de l'un d'eux «virait tapette» de par ma faute.
Comme j'ai toujours été certain de mon hétérosexualité, l'idée qu'on me prête des pratiques sexuelles qui n'étaient pas les miennes me déplaisait. Je n'avais pas à subir l'humiliation pour quelque chose que je n'étais pas. Alors j'ai cédé. Ce jour-là, j'ai renoncé à mon droit à l'homosexualité. Dans l'espoir de renouer avec ceux qui m'avaient rejeté, j'ai fait le choix d'adopter un comportement homophobe, et tranquillement, je regagnais leur respect.
Aujourd'hui, je revisite cette période de ma vie avec beaucoup de regrets. Mais j'étais jeune et j'ai laissé des «amis» me dire que si réellement j'avais été homo, ç'aurait été tout à fait légitime qu'ils me jettent aux vidanges de manière aussi sauvage comme ils l'ont fait. Qu'on aurait bien fait de faire de ma vie un enfer.
Et ce droit à l'homosexualité, il appartient à tout le monde. Un droit que même un hétéro ne devrait jamais laisser aller aussi aisément, un droit qui ne lui sera probablement jamais utile, certes, mais il est là, dans un tiroir, accumulant une tonne de poussière, et personne ne devrait jamais pouvoir l'arracher des mains de qui que ce soit.
En renonçant à ce droit, on empêche l'émancipation. Et aujourd'hui, je le revendique plus que jamais. Comme l'ont fait les deux battleurs.
Parlant d'émancipation, je vous laisse sur une conférence TED câlissement eye-opening que tout le monde devrait regarder au moins une fois dans sa vie.
Je vous déteste.