J'ai, autrefois, appartenu à la classe des «par défaut».
J'étais le plus grand fan des Michael Jordan, Jacques Villeneuve, Patrick Roy, Mike Tyson et Henry Rodriguez. J'obéissais également à Jean-Marc Parent et son Heure JMP en flashant les lumières extérieures de la maison de mes parents.
Un jour, on est allés voir jouer les Expos au stade. La veille, j'étais supra-excité. Je devais avoir 14 ans. Jusque là, j'avais encore cette étrange certitude d'adorer ce sport, moi qui, durant l'enfance, avais fièrement arboré le t-shirt Oh Henry! à l'effigie de Rodriguez.
Pire après-midi de cette année-là. Je détestais tellement le baseball, pourquoi personne ne me l'avait dit avant? J'ai été confronté à moi-même, à ma fausse passion pour ce sport qui s'est perpétuée pendant trop longtemps. Non seulement je réalisais que je n'avais jamais aimé le baseball, mais en plus, je n'aurais jamais su identifier Henry Rodriguez sur une carte à collectionner.
Cette journée-là, je me suis fait peur. Mais j'ai upgradé. Dans les heures qui ont suivi ce mini-drame, je me suis adonné à l'exercice avec tous les noms énumérés plus haut. Outch. Ok, là ça faisait vraiment mal. Aucun intérêt significatif ni pour le basketball, ni pour la course automobile, ni pour le hockey, ni pour la boxe et encore moins pour Jean-Marc Parent.
J'étais un «par défaut».
Les murs de ma chambre étaient tapissés de posters d'idoles qui n'en ont jamais véritablement été. La couverture rigide du cartable qui tenait ma collection de cartes de hockey en otage était fin prête à accueillir toute la poussière du monde.
Je tournais la page sur toutes ces années d'adhésion systématique sans même savoir pourquoi. Comment j'ai pu?, que je me demandais. Dorénavant, il ne fallait plus que ça arrive.
Si je dis ça c'est que je réalise tristement à tous les jours que plusieurs humains ne seront probablement jamais frappés par ce grand déclic que j'ai pourtant connu à un très jeune âge. Qu'être un «par défaut» c'est parfois pour la vie.
Récemment, je visionnais la finale de M. Net à Musique Plus et quand Denis Talbot s'est rendu à l'extérieur des studios pour interroger les gens à savoir quels avaient été leurs meilleurs moments de l'émission ou encore, quelle était la chroniqueuse qu'ils ont préféré, de manière unanime, la réponse était: TOUTE. J'AI TOUT AIMÉ. On comprenait alors que ces belles personnes avaient fait de la route pour pouvoir assister à un moment mythique de télé sans probablement même avoir été un téléspectateur modéré ou assidu du show. Des «par défaut».
Il m'arrive qu'on m'aborde dans le métro pour me dire qu'on aime TOUT ce que je fais. J'en suis sur le coup flatté, jusqu'à ce qu'un peu plus loin dans la brève-convo, on m'admette ne pas être au courant que j'entretiens cette chronique hebdo. OUIN.
Les «par défaut» ont orchestré l'été dernier leur propre show réalité qui portait pour titre le Ice Bucket Challenge. Pour les gens comme moi qui ont pu bénéficier dès l'adolescence du grand déclic qui permet un brin de lucidité, cet immense spectacle qui fait appel à ce qu'il y a de plus grégaire chez l'être humain nous a donné des frissons dans le dos. L'un après l'autre défilait, timidement et sans charisme, nous laissant entendre qu'il ne comprenait pas tout à fait ce qu'il était en train de faire, mais qu'il le fallait, par défaut.
Et finalement, pour bien entamer la nouvelle année, les ex-candidats du Ice Bucket se sont appropriés Charlie. Pour quelle raison? Don't know. Parce que tuer des gens c'est mal, I guess.
Déjà 15 années me séparent de cette journée au stade où je me libérais enfin et malgré moi de l'étiquette du «par défaut» et je me fais encore peur, rien que d'y penser. Imagine l'incompréhension dans mes yeux quand je suis confronté à une personne de ma génération qui n'a jamais su s'en départir.
Souvent je me dis qu'il serait primordial qu'on apprenne, dès les premières années du secondaire, à ne plus être un «par défaut».
Je vous déteste.