«Félix et Meira»: un portrait lumineux et émouvant d’une romance «mile-endoise» plus qu’atypique
Michael-Oliver HardingMaxime Giroux, le réalisateur de vidéo-clips le plus prolifique de l’ère NúFilms (2000-2009) vient de réaliser un troisième long métrage fort émouvant qui cumule les honneurs dans les festivals partout dans le monde. Énième preuve s’il en fallait une que le clip demeure un formidable laboratoire de création, une école tout indiquée pour la relève cinématographique. À ce sujet, les États-Unis peuvent se targuer d’avoir encouragé la créativité casse-cou de Spike Jonze. La France, quant à elle, a vu éclore le penchant surréaliste assumé de Michel Gondry. Et le Québec a Maxime Giroux, qui a toujours sondé avec énormément de justesse la cruelle solitude avec laquelle doivent composer les gens ordinaires. Depuis le court métrage Le rouge au sol, Giroux développe une fascinante topographie du déracinement, de l’aliénation humaine.
Son Félix et Meira, élu Meilleur film canadien au TIFF et Louve d’or ex æquo au Festival du nouveau cinéma, raconte une histoire d’amour «mile-endoise» dans laquelle la grande chaîne alimentaire des hipsters brille par son absence. Inspiré du livre de Deborah Feldman, Giroux prépare le terrain pour une rencontre inhabituelle, voire taboue: la relation que tissent prudemment le Québécois francophone Félix (Martin Dubreuil), âme perdue et vagabonde qui vient de perdre son père, et Meira (Hadas Yaron), juive hassidique mariée et mère d’un enfant, qui se meurt d’ennui dans une profession de foi étouffante. Lorsque leurs destins se croisent pour la première fois dans une boulangerie cachère, les deux personnages sont en quête de renouveau.
Félix, un célibataire dont la vie sociale se résume aux visites de sa sœur plus cartésienne (Anne-Élisabeth Bossé), se retrouve seul pour traverser un important deuil, tandis que Meira vit son épanouissement dans le plus grand des secrets. Elle prend la pilule, s’adonne au dessin et enterre la monotonie de son quotidien dans les vinyles (Mile-End oblige) de la chanteuse soul Wendy Rene, joués à tue-tête dans son salon dépourvu d’éclat. Un vent de curiosité s’empare de Félix lorsqu’il aperçoit cette femme timide, assise avec un jeune bambin sur les genoux. Porté par un élan de courage, il accoste «l’Autre», celle que la religion proscrit de le regarder dans les yeux. C’est ainsi que s’amorce une histoire d’amour plus qu’improbable entre deux êtres reprenant goût à la vie tout en s’apprivoisant l’un l’autre.
Giroux nous offre ici une incursion naturaliste dans une communauté qui opère à l’abri du regard des non-pratiquants, tout en évitant le jugement facile ou la condamnation de la religion. Le réalisateur, qui a longtemps habité le Mile-End, a fait ses recherches en vue de l’écriture du scénario, prenant contact avec des Hassidim montréalais ainsi que des ex-hassidiques par le biais de l’organisme new-yorkais Footsteps. Le personnage de Shulem, mari de Meira qui constate à son grand désarroi que sa femme s’éloigne de lui, s’avère beaucoup plus nuancé et complexe que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Luzer Twersky, l’acteur qui lui prête ses traits, est d’ailleurs un ex-hassidique new-yorkais, tout comme quelques autres comédiens ayant participé au film. (Josh Dolgin, artiste klezmer-hop montréalais mieux connu sous le pseudonyme Socalled, interprète notamment un ami de Shulem.)
La grande révélation du film s’avère toutefois cette Meira campée par l’Israélienne Hadas Yaron. De voir son visage s’illuminer lorsqu’elle enfile pour la première fois un jeans, ou qu’elle fixe Félix dans les yeux lors d’une partie de ping pong tout ce qu’il y a de plus anodin, nous en dit long sur le grand combat qui l’habite. Yaron traduit éloquemment l’hésitation d’une femme à la fois forte et fragile, qui s’apprête à plonger à tout jamais dans un univers laïque lui donnant le vertige. Tourné entre Montréal, New York et Venise, Félix et Meira s’inscrit dans la continuité de la filmographie minimaliste de Giroux, avec son arsenal très sobre de personnages souffrants, poussés au bord du gouffre. Mais on sent ici une certaine volonté de mettre en images un récit plus lumineux, porteur d’espoir. Qui sait si Félix et Meira viendront à bout de toutes ces barrières qui les séparent. Mais pour l’instant, le charme opère dans la contrée de Leonard Cohen.
Félix et Meira
En salles dès vendredi
Crédit: Julie Landreville