L'humoriste et auteur Louis Morissette a fait une sortie la semaine dernière en s'attaquant à la rectitude des dernières années sur les médias sociaux dans un billet qui porte pour titre «La victoire des moustiques». Après publication, il a accordé une entrevue à La Presse qu'on peut lire ici.
En gros: il reproche à ceux qui s'indignent de frapper sur tout, ce qui aurait pour résultat de contraindre les artistes à ne faire que du clean qui convient à tout le monde. Dans le cas ici: Morissette s'est vu «forcer» d'engager un vrai noir pour le rôle d'un noir histoire d'échapper au scandale.
Sur le fond je ne suis pas tout à fait en désaccord avec Louis Morisette. Je connais même très peu de gens qui le seraient totalement. Son propos rejoint en partie celui qui sert de toile de fond à la nouvelle saison de South Park et je reconnais que le portrait que ses auteurs dressent de notre époque est violent tant il est accurate. Je ne chercherai même pas à me dédouaner ici : je plaide un peu coupable. Vrai que c'est lourd parfois. Vrai qu'on serait tentés de s'imaginer qu'on ne peut plus rien dire, rien faire. Vrai qu'il peut être agaçant d'observer ceux qui préfèrent rester assis faire la morale à ceux qui osent se mettre en danger.
Il y a de ces moments où ça déborde plus qu'à d'autres, de ces fois où le recul permet de mettre côte à côte deux événements antérieurs ayant donné naissance à un backlash pour en fin de compte réaliser qu'on a peut-être déchiré nos chemises trop rapidement pour l'un lorsqu'opposé à l'autre.
Il serait faux de prétendre qu'il n'y a pas occasionnellement de ces petites injustices où on aurait peut-être pointé du doigt avec trop de véhémence pour un non-crime qui vient d'être commis. Faux de faire comme si nous n'évoluions pas dans une ère du bruit pour tout et où tout le monde est contraint de marcher sur de délicats oeufs de caille.
Tout ça est vrai. L'approche moralisatrice et le climat dans lequel elle nous plonge peuvent laisser présager un avenir sombre quand on s'arrête pour y penser un instant.
Nous vivons des révolutions actuellement, de petites comme de grandes. À force d'avoir résisté, lutté pour conserver des privilèges, fait subsister des systèmes d'oppression, d'avoir fermé les yeux et élever le ton pour étouffer des voix, ce passage se veut aujourd'hui essentiel, incontournable.
C'est faux de prétendre qu'on ne peut plus rire de rien. Seulement, quiconque se permet de lever le nez arrogamment sur des semaines, des mois, voire des années de réflexions et de débats doit s'attendre, évidemment, à ce qu'il y ait beaucoup de bruit. Pas forcément parce qu'on cherche à le censurer, mais bien plus parce qu'il n'aura pas su faire preuve d'écoute et bien pire encore: s'adapter.
Alors que plusieurs pleurnichent qu'on ne peut plus rire de rien, d'autres (lire: la jeunesse) au contraire les font mentir et brillamment s'adaptent aux nouvelles mentalités notamment en se frayant une voie dans l'univers des tabous inexploités.
Dans sa missive Louis Morissette évoque cette récente réalité comme un frein à la créativité et alors je me dis qu'il n'a tristement rien compris à la créativité. À quoi bon s'acharner à porter le vieux crisse de t-shirt punk troué qui n'a plus — depuis des lunes — pour fonction de déranger les esprits étroits que même Claude de Rimouski pourrait porter sans craindre de se faire dévisager en pleine rue? Est-ce vraiment à Claude qu'on cherche à plaire ou plutôt ne souhaitons-nous pas absorber comme une véritable éponge les nouveaux slogans scandés par une jeunesse diversifiée, cultivée, qui plus que jamais refuse de réprimer son droit de hurler qu'elle compte bien exister sans même jeter un coup d'oeil au vieux modèle qui lui est présenté?
Les vieux punks qui réclament toujours le vétuste cochon volant de Pink Floyd ou bien la nouvelle batch qui a les mains pleines de manifestes et qui rêvasse d'un paysage aux couleurs et formes multiples pour échapper aux suffocations qu'engendre l'inertie des vieilles années?
La créativité c'est d'être en mesure d'adapter le cochon volant de Pink Floyd à une réalité nouvelle sans devoir pour autant céder sa place.
Et ceux qui refusent de s'adapter, qui résistent, ont souvent tout à perdre et alors font le choix de ne pas s'adapter et forcément encore moins de céder la place. La jeunesse quant à elle: tout est à gagner dans un monde en déclin où tout est à refaire.
Quand de puissants hommes blancs décident entre eux que les discussions antérieures des dernières années sont en réalité puériles et sans intérêt, la jeunesse intervient. La jeunesse dit que la jeunesse est là, tout simplement.
La jeunesse peut paraître bien lourde quand on refuse de l'écouter, quand on se moque de ses idées. Je le reconnais. C'est le prix à payer quand on se bouche les oreilles.
Ce qui est reçu comme un mal pour certains en est un provisoire et plus que nécessaire pour les autres.
Tant pis pour les pénalisés.
Tant pis, vive la jeunesse.