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Le Détesteur: «Dis-moi qu’t’es pas un carré rouge? […] les sans-desseins qui faisaient la grève, là!»
Crédit: Johana Laurençon

Mon ami et collègue de radio est à Un souper presque parfait, cette semaine. Julien Bernatchez, humoriste. Ses concurrents et lui forment un groupe disparate qui s'apparente curieusement aux cinq élèves en détention du samedi dans le Breakfast Club de John Hughes.

C'est une première pour moi de syntoniser cette émission mais quand c'est Julien, il s'agit ici d'un événement. Et c'est pas rien que moi qui le dis; ça jase fort sur les médias sociaux depuis la diffusion du premier épisode. C'est qu'il ne s'est pas inscrit à USPP avec l'intention de gagner ni même de faire capoter un tout p'tit peu les papilles gustatives des autres candidats, — et ça on le découvrira mercredi soir; il ne sait pas cuisiner — nope. S'il y est c'est pour amener ailleurs le personnage qu'il entretient depuis quelques années, le pousser à sortir de sa zone de confort, le mettre à l'épreuve un brin.

Parmi le groupuscule très éclectique, il y a ce dude électricien, Jonathan, qui confronte d'emblée et du haut de ses certitudes Anne-Sophie, étudiante en création littéraire : «Dis-moi qu't'es pas un carré rouge? […] les sans-desseins qui faisaient la grève, là!». Plus tard, dans un extrait de l'épisode qui sera diffusé ce soir, il récidive en abordant les changements climatiques : «Le réchauffement de la planète, croyez-vous à ça?». C'est là qu'on nous laisse sur un Julien qui se permet un commentaire ludiquo-cinglant en aparté.

Tu peux voir tout ça par ici.

Jonathan, costaud, charismatique/douche, parle comme un gars de chantier. Arrogant pour tout mais surtout pour rien du tout. Semble chercher à protéger un quelconque territoire alors que la situation ne l'exige absolument pas. Intolérant, visiblement, carré vert et climatosceptique.

L'archétype du gars que j'ai entrepris de fuir quand j'habitais encore la banlieue. Ce dude qui te traite de piment pis de raisin, c'est lui.

Les gars comme Jonathan ont hanté une bonne partie de ma jeune vie d'adulte. D'abord c'est qu'ils sont dotés d'une morphologie qui correspond à l'image qu'on s'est fait de l'homme, le vrai, le mâle. J'ai tôt fait de remarquer qu'on tendait plus facilement à traiter comme d'authentiques hommes adultes ceux qui répondent à l'anatomie recommandée. Et plus souvent on accorde des points virilité à un homme, plus il sera porté à agir comme il se doit. Comme un homme.

Les Jonathan sont habiles pour convaincre les esprits faibles combien adultes ils sont. Ils empruntent aux babyboomers tout ce qu'ils ont de plus mâle; des intonations quasi inintelligibles de nigaud jusqu'à la déparlure populaire où le joual flirt avec l'anglais approximatif.

Et puis, en opposition à Jonathan, les gens comme moi devront travailler toujours un peu plus fort pour échapper à l'infantilisation, pour être pris au sérieux.

Je me suis longtemps imaginé qu'il me fallait aspirer à devenir un Jonathan puisque c'est lui — et seulement lui — qu'on me proposait dans les shows de télé-réalité qui devaient mettre en vedette «du vrai monde».

Ah mais Jonathan est certes du vrai monde, j'en conviens. Mais à force d'être le seul vrai monde présentable, j'ai fini par croire qu'il n'y avait de place dans le vrai monde que pour les Jonathan qui émanent la testostérone et que par conséquent, les gens comme moi — les gens comme Julien — n'allaient jamais pouvoir être «enough» un jour.

Jonathan a sévi à la télé tellement longtemps sans jamais qu'on ne le confronte un peu, sans que ses inepties, endossés par monsieur-madame-tout-le-monde la plupart du temps, ne trouvent d'opposant.

Mais avec mon ami Julien qui amène une nouvelle dimension à la télévision et qui s'assure que l'inépuisable monsieur certitude ne s'en tire plus aussi facilement, voire, qu'il lui fait perdre la face quand même pas pire, je reconnais que ça me permet de rétablir une certaine paix chez moi. Et peut-être bien que l'instant d'une brève semaine, le commun des mortels pourra observer cette fois une dynamique différente où les rôles sont inversés; où le dominant n'est plus le charismatique, costaud, arrogant et donc fier Jonathan.

Un clash télévisuel qui fait du bien.