J'ai comme un malaise avec ce qui se passe à TLMEP dernièrement. Avec la manière dont est abordé le thème de la condition féminine qui d'ordinaire suscite une véritable commotion sur les médias sociaux, un raz de marée de commentaires hargneux. Même si, en même temps, je suis heureux qu'on l'aborde enfin.
J'ai un gros doute. On dirait que je n'y crois pas. Ce que je vois dans ma télé ne correspond pas à la réalité, à ce qui se déroule à l'arrière-scène, ou peut-être bien que je me trompe. Peut-être avons-nous réellement évolué en si peu de temps.
Ce qui nous est montré sur le plateau de TLMEP, c'est trop beau, trop facile. Sophie Durocher, dimanche dernier, nous a été vendue comme une marginale. Seule contre tous. Mais Sophie Durocher n’est pourtant pas marginale. Quand on traite de féminisme sur ce show, les hommes applaudissent, les hommes se disent féministes. Mais pourtant, tous les invités ne sont pas féministes; je ne peux pas y croire.
Trop contrastant avec le shitstorm qui attend les féministes à toutes les fois qu’elles décident entre elles, par exemple, d’orchestrer une manif non mixte, à toutes les fois que la blague sexiste d’un humoriste québécois est vivement dénoncée, à toutes les fois que la vitrine d’un commerce est vandalisée, à toutes les fois qu’au Grand Prix de MTL des seins sont révélés.
Et attention: on n’est pas forcés d’adhérer à tout ce qu’une ou des féministes fait ou font. Seulement, il est essentiel de se rappeler que ce mouvement est le leur et pas celui des hommes, même si, ultimement, les hommes en bénéficient eux aussi.
Le problème avec les hommes qui se disent féministes c’est qu’ils ne se tiennent jamais bien loin derrière les femmes et au moindre désaccord, à la moindre maladresse, ils sont prêts à intervenir et rapidement. Mais l’empowerment implique aussi qu’on laisse les féministes commettre leurs propres bourdes et qu’elles apprennent de celles-ci — qu’elles lavent leur linge sale en famille — sans que des voix masculines se fassent entendre à chaque putain de fois en canon. L’empowerment ne se fait pas seulement dans les victoires et les bons coups.
En tant qu’homme qui joue un rôle d’allié, il faut apprendre à s’effacer.
Pour une lettre comme celle que j'ai adressée à JF Mercier l'été dernier en réponse à sa blague sexiste, on m'a crucifié sur la place publique. J’ai reçu des menaces de mort pour ce texte. Les féministes quant à elles ont été hyper marginalisées, traînées dans la boue, traitées de criss de folles. Je les ai retenus les noms de personnalités qui se sont moquées des féministes, les noms des hommes qui pourtant applaudissent et se disent féministes sur le plateau de TLMEP.
TLMEP efface cette hostilité, fausse les impressions et donne bonne conscience. Tandis que sur les médias sociaux comme dans la vie de tous les jours, c'est une autre histoire. Le féminisme ne passe pas aussi bien qu'à TLMEP.
Trop contrastant. Mais je veux bien les croire sincères quand ils affirment être féministes. Aucun prob avec ça. Ça va de soi. Seulement, je pense qu’ils le sont, pour la plupart, à leurs propres conditions. Leur féminisme. Pire encore: j’oserais même dire qu’ils le sont par opposition. Féministes parce que Gab Roy. Féministes parce que Ghomeshi, féministes parce que Cosby. Féministes parce que Lise Thériault. Féministes parce que Sophie Durocher. Féministes selon le nouveau méchant que les manchettes nous auront dégoté cette semaine.
Pas féministes parce qu’ils écoutent vraiment ce que disent les femmes. Féministes parce qu’ils ne sont pas misogynes, sexistes ou violeurs. Féministes par défaut, parce qu’ils se trouvent du côté des bons. Féministes parce que ne pas l’être sur le plateau de TLMEP mène sans faute à un lynchage certain pendant une bonne grosse semaine au moins.
Féministes parce qu’on ne les a pas mis à l’épreuve, on ne les a pas placés devant des situations ambiguës et parfois complexes qui demandent énormément de recul, de s’effacer, de se taire. On ne voit pas ça à la télévision. On a l’impression que si tous les invités s’opposent à la culture du viol, c’est que forcément, ils ont assimilé tout ce que comprend la culture du viol. Que si tous se disent féministes, c’est forcément qu’il s’agit d’un féminisme similaire à celui de Judith Lussier!
Mais je répète: la réalité est autre. Devant autant d’ambiguïtés, de colère, de cris et de revendications, ça ne se passe pas vraiment comme ce qu’il nous est permis de voir à TLMEP le dimanche soir. Les hommes ont plutôt tendance à s’opposer vigoureusement à trop d’ambiguïtés, trop de colère, trop de cris et trop de revendications. À ne pas reconnaître que leur rôle au sein du mouvement féministe doit être passif.
J’y vois ici un imminent danger d’appropriation maintenant que plus d’hommes se réveillent et s’affichent comme étant (pro-)féministes — parce qu’il le faut, parce qu’on est en 2016, parce qu’on s’oppose à Richard Martineau.
Pourquoi s’être réveillé maintenant? N’ont-ils pas écouté avant? Avons-nous affaire ici à une horde d’hommes féministes qui, faute d’avoir ouvert l’oreille, bypasseront malgré eux tout ce qui a été au préalable établi par les féministes?
Comment le prendront-ils d’être critiqués ouvertement par les femmes? Seront-ils capables d’effacement, d’écoute, de recul et d’introspection? Ou bien encore, comme on l’observe régulièrement, s’empresseront-ils de faire comprendre aux femmes qu’ils savent bien mieux qu’elles comment doivent se comporter les féministes?
On ne le voit pas à la télévision, ça. Parce qu’aborder le féminisme à TLMEP, ça se déroule plutôt bien. Ç’a l’air si simple, si paisible, si à la mode. Tout le monde, excepté Sophie Durocher, fait bonne figure. Dans la vie de tous les jours comme sur les médias sociaux, c’est une autre histoire.
Quand il y aura moins de complaisance et plus de discorde sur le plateau, que les hommes seront confrontés à des situations qui d’ordinaire leur font perdre leur calme sur les médias sociaux, là, je me réjouirai davantage qu’on parle de féminisme à TLMEP. J’aurai pour une fois cette impression que le téléspectateur, confronté à lui-même lui aussi, sera amené à tout remettre en doute à son tour.
Petit rappel: c’est plutôt facile de se positionner férocement contre le viol, mais quand l’agression est perpétrée par un ami alors qu’il y a déjà eu consentement dans la même soirée, on a tendance à se montrer plus indulgent à l’endroit de l’agresseur et plus critique à l’égard de la survivante. Ces histoires relatées sur le web génèrent généralement leur lot de scepticisme, de «crisse de folle!» et de virulence. Et ça, je réitère: on ne le voit jamais à TLMEP.
Je ne suis pas féministe. Je suis pro-féministe. Et pas seulement parce que Richard Martineau signe des textes misogynes. Je suis pro-féministe parce que je reconnais avant toutes choses faire moi aussi partie du problème.
Il faut cesser d’opposer notre propre conscience aux pires personnes du monde. Le système d’oppression est entretenu par tout le monde et pas seulement par des Roosh V et des Ghomeshi.
Bonne journée internationale des droits des femmes.