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Notre critique de « 1984 » : une pièce dont on ne sort pas indemne!
Crédit: Stéphane Bourgeois
Impossible de rester indifférent à l’adaptation théâtrale de ce grand classique de la littérature d’anticipation. Qu’il s’agisse de notre premier contact avec la réflexion de George Orwell ou qu’on y replonge pour une énième fois, en ayant l’impression de comprendre quelque chose de plus, on sort du Théâtre Denise-Pelletier comme on sort d’une salle d’électrochocs. 

1984 met en scène une société où des femmes et des hommes comme Winston (Maxim Gaudette) travaillent au Ministère de la Vérité pour réécrire le passé, en effaçant des photos, des informations, des événements et des vies entières. Une société où la Police de la Pensée scrute l’esprit des gens à la recherche de projets de rébellion contre le Parti. Une société où le divertissement de masse permet de maintenir la population dans un état de paresse intellectuelle, encourageant l’ignorance et décourageant la prise de position.

Pendant 105 minutes, on suit Winston dans ce monde qui ressemble, au fond, de plus en plus au nôtre. On assiste au réveil graduel de son esprit et au bourgeonnement de ses envies de révolution. On est témoin de l’amour grandissant qui l’unit à Julia, un sentiment interdit par le Parti, mais qui poussera les amoureux à faire et dire des choses aux conséquences plus grandes qu’on ne pourrait l’imaginer. Bref, on découvre les ramifications d’un monde malade.

Fidèles à l’obscurité dans laquelle sont confinés les citoyens, les éclairages plongent les spectateurs dans une demi-pénombre pendant plus de la moitié de la pièce. Un choix qui les oblige à combattre les effets naturels de la semi-clarté (attention qui diminue, bâillements insidieux), mais qui témoigne des efforts que les humains doivent faire pour sortir de la noirceur et regarder la réalité en face.

Le travail de la metteure en scène Édith Pathenaude comporte plusieurs idées de génie. La présence soutenue d’un caméraman filmant en direct des discussions en gros plans, qui sont projetées sur grand écran, permet non seulement d’avoir accès à l’intimité des personnages, mais également d’évoquer à quel point Big Brother nous épie en tout temps et en tous lieux.

Une photo géante collée derrière une table où se réunissent trois hommes, qui répètent sans cesse les mêmes paroles, donne une perspective différente à l’action. Les multiples éléments du décor et la musique inquiétante nous catapultent dans un univers froid et métallique qui rappelle plusieurs dystopies cinématographiques très efficaces.

Crédit: Stéphane Bourgeois

Toutefois, l’adaptation théâtrale de Duncan Macmillan et de Robert Icke souffre d’un manque de clarté frustrant et repose sur un fil narratif imprécis et maladroit. Ne pouvant pas déposer l’histoire (le roman) quand bon leur semble pour réfléchir aux innombrables couches de sens proposées par Orwell, les spectateurs voient défiler une succession de concepts sur le passé, la vérité, l’humanité, l’identité, l’embrigadement, le divertissement, la culture, l’amour, la trahison, l’esprit critique et tant d’autres, sans pouvoir tout saisir et tout intégrer.

Bien sûr, un être humain maintenu dans la noirceur n’arrive pas, lui non plus, à distinguer d’un seul coup toutes les nuances de couleurs, lorsqu’on met en lumière ce qu’il n’a pas pu/su/voulu voir pendant des années. Mais les créateurs ont la responsabilité de ne pas ajouter des couches de flou à une œuvre déjà si touffue.

Et quand on sait que, un an après avoir présenté la pièce au Trident de Québec, l’équipe de création s’afférait à améliorer la compréhension du texte et des enjeux, quelques jours avant d’entrer en scène à Montréal, on ne peut faire autrement que d’imaginer qu’ils étaient eux-mêmes conscients des failles de leur matière première et qu’ils n’ont pas pu tout colmater à eux seuls.

1984 sera présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 décembre.
 

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