Enter the Void (France, 2012) 161 minutes.
Linda et Oscar, deux jeunes orphelins américains, sont moralement perdus dans le vortex d’un Tokyo débridé. Avec des plans-séquences hallucinés et des scènes épileptiques d’anthologie, cette oeuvre singulière du cinéaste iconoclaste Gaspar Noé (Seul contre tous, Irréversible, Love) nous en met plein la vue. L'intrigue, inspirée librement du Livre tibétain des morts, va à la rencontre d'une jungle nocturne peuplée de néons et de personnages douteux. Un voyage impressionniste ultra-maîtrisé qui s’appuie sur une triple temporalité et la persistance d'une bande sonore énigmatique. Du cinéma cru et jouissif où la caméra flotte sur des personnages aussi dénués de repères que le spectateur. Adoré ou détesté, cet ovni est un incontournable du cinéma contemporain.
Amour (France, 2012) 127 minutes.
La performance éblouissante des acteurs Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva conduit ce film ravageur. Exposant sans artifice la mort lente qui s’installe dans un couple de bourgeois parisiens, cette oeuvre lucide porte un regard glacial sur l’amour conjugal endeuillé par la vieillesse. Des scènes habilement insupportables, comme seul le cinéaste autrichien Michael Haneke (La pianiste, Caché, Le Ruban blanc) en détient le secret. Bordé par une absence musicale, comme dans la majorité de ses films, le géant du cinéma européen nous happe d’effroi pour mieux soutenir ce portrait touchant et brutal de la condition humaine. Lauréat de pratiquement tous les prix possibles en 2012.
Ce curieux drame policier se déroule sur les berges d’un lac paradisiaque où l'on s'adonne avec hédonisme au naturisme homosexuel. L'intrigue repose sur une prémisse plutôt simple, le protagoniste, Franck, tombe sous le charme du mystérieux Michel. S’ensuit alors un amour inquiétant entremêlé d'une amitié improbable et d’une enquête policière. Film ensoleillé au rythme tout en douceur révélant les dessous insoupçonnés de l'attirance, où le sexe et la mort se côtoient dans une ambiance estivale. Une fin habile aussi ambiguë qu’étrange. Récipiendaire de 8 Césars en 2014 dont celui du meilleur film.
Nymphomaniac (Danemark, 2014) 240 minutes.
Fresque ambitieuse et composite de l’enfant terrible du cinéma d’auteur européen, ce diptyque porno-dramatique de Lars Von Trier (Breaking the Waves, Dogville, Melancholia) ne laisse personne indifférent. Une oeuvre risquée, parfois contradictoire, qui choquera ou envoûtera certains spectateurs par sa subversion incisive. Plus névrotique que romantique, le film met en scène les pérégrinations sexuelles de Joe, une jeune femme s’enivrant de ses pulsions libidineuses. Le film est une longue transgression en huit chapitres successifs où elle dévoile son passé à un intellectuel reclus. Avec son dernier opus, le père du Dogme95 conserve son titre du cinéaste le plus intéressant et imprévisible de la scène actuelle.
Force Majeure (Suède, 2014) 118 minutes.
Installée bien confortablement dans les Alpes françaises pour un voyage de ski en famille, la solidité paternelle de Thomas bascule lorsque celui-ci panique devant une avalanche contrôlée. Cette oeuvre à la photographie sophistiquée et habitée de personnages captivants développe son intrigue autour de réflexions bien de notre époque. Les nombreux dialogues s'épanchent sur l’évolution des rôles dans la famille, le mensonge envers les autres et à soi-même. Un film brillant à voir idéalement avec l’âme soeur. Prix du Jury à Cannes en 2014.
Directement sorti de la tête du génial Yorgos Lanthimos (Dogtooth, Alps), ce premier long-métrage dans la langue de Shakespeare retrace les péripéties surréelles d’un homme célibataire ayant un mois pour se trouver une partenaire sinon il se transformera en homard. Interprétée avec brio par une myriade d’acteurs et d’actrices reconnus, cette oeuvre décalée nous convoque à un univers régi par ses propres codes. Tournée dans le décor enchanteur d’une forêt irlandaise, l’intrigue révèle un questionnement profond au sujet de la quête de l'amour. La bande sonore imbibée de musique classique apporte une atmosphère sévère et désaturée à ce film à la fois drôle, intelligent, mais en tout temps attendrissant. Prix du Jury au Festival de Cannes en 2015.
Le tout premier long-métrage de László Nemes est un plongeon cauchemardesque dans les entrailles des camps de concentration nazis. Un film coup de poing aux qualités auditives stupéfiantes en raison de l'économie visuelle du procédé immersif. En effet, on suit du début à la fin, Saul, de dos, déambuler dans l’environnement infernal des fours crématoires. Insoutenable par sa cruauté vertigineuse, ce film est l’un des plus impressionnants efforts fictionnels sur la Seconde Guerre mondiale. Grand Prix du Festival de Cannes en 2015 et récipiendaire de l'Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2016.
Mustang (France – Turquie, 2015) 97 minutes.
Raconté tel un conte, ce film de la réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven explore la réalité de cinq soeurs âgées entre 11 et 17 ans enclavées au coeur d'une Turquie contemporaine qui ne leur sied pas. Une oeuvre emplie de liberté qui met à l’avant-scène la complexité du monde féminin dans une culture oscillante entre émancipation et traditionalisme. Regard sombre sur les coutumes du passé, mais éclatant sur l'adolescence, la solidarité et le refus de se conformer à l'injustice. Récipiendaire de 4 Césars en 2016, dont ceux du meilleur scénario et du meilleur premier film.
Victoria (Allemagne, 2015) 138 minutes.
Tourné en un plan-séquence de 134 minutes dans une vingtaine de lieux différents, ce tour de force technique à peine croyable raconte la nuit mouvementée d’une jeune espagnole récemment emménagée en Allemagne. Avide d'aventure, Victoria fait la rencontre dans un bar d'une bande de petits escrocs charismatiques qui ont besoin de son aide pour un vol de banque. Ce coup du destin la fera voyager au coeur d'un Berlin interlope et angoissant. À l'aide d'une caméra à l'épaule dynamique et d'une action en continu, on oublie complètement que le film est une seule et unique prise.
Toni Erdmann (Allemagne, 2016) 172 minutes.
Surprise du Festival de Cannes en 2016, cette comédie germanique évoque avec une intelligence de virtuose la relation pleine d'affection que porte un père excentrique envers sa fille qu’il considère aliénée par une vie trop rangée. Truffé de scènes embarrassantes et hilarantes, le film met en lumière avec subtilité, les absurdités de notre époque et critique l'ambition sauvage d’une Europe capitaliste s’étentendant sans gêne sur les cendres des anciens régimes communistes.
Bon cinéma!