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« Froid » au Théâtre Prospero : la profonde laideur de la haine
Crédit: Cath Langlois

La xénophobie est devenue un sujet fort préoccupant ces derniers temps, que l’on pense à nos problèmes avec l’extrême-droite au Québec, aux événements de Charlottesville en Virginie en août dernier, ou tout simplement au déplorable choix de président effectué par nos voisins du sud. La haine raciale et religieuse flotte dans l’air, il est difficile d’y échapper, et comme l’art est le reflet de l’actualité, on se retrouve exposés à beaucoup de romans, films ou pièces de théâtre qui en traitent.
 

Dans Froid, un titre qui convient au récit comme un gant, on est confrontés à des comportements tellement laids qu’ils en deviennent insupportables. La journée où l’école se termine, trois adolescents suédois nationalistes vont boire de la bière dans les bois et discuter de leurs idéaux d’une autre époque. Pureté raciale, sentiment d’être envahis, désir de préserver le pays pour les natifs – tous les clichés possibles sont évoqués dans leur haineuse rhétorique, et la conversation est clairement dominée par Keith (David Bouchard), le plus vieux et le plus enragé des trois.

Ismaël (Dayne Simard) est musulman, et son père est en prison, mais ils l’acceptent dans leurs rangs comme un frère, « parce que c’est pas pareil ». Et Anders (Ariane Bellavance-Fafard) est en quelque sorte la copine de Keith, mais elle s’entraîne et se chamaille autant que les garçons avec qui elle traîne. Lorsque Karl – un collègue de classe asiatique dont la famille possède un chalet dans le secteur – surgit au milieu de leur petite fête, en chemin vers son souper d’anniversaire, les événements prendront une tournure un peu inquiétante.

L’horreur provient principalement du fait qu’on voit l’inévitable progresser sous nos yeux, que l’inconscience des jeunes esprits impressionnables est malléable par de belles paroles; l’effet d’entraînement et le désir de se conformer, même à des discours et gestes qui frôlent la folie, prend le dessus sur le simple bon sens.

La salle intime du Prospero est l’une des plus petites du circuit théâtral montréalais, et cette proximité avec les acteurs rend l’expérience encore plus percutante, les cris étant d’autant plus perçants et la violence latente de proximité, qui risque d’exploser à tout moment, encore plus réelle et « in your face ». Les multiples claques, coups de poing et accrochages sont authentiques, et le mélange d’énergie et d’impulsivité de la jeunesse sont ici magnifiquement rendus par les acteurs.

On se surprend à s’inquiéter pour le Karl qu’incarne Olivier Arteau, qui ne cède jamais à l’intimidation et qui parvient à conserver un semblant de fierté malgré toute l’hostilité dont il est victime. David Bouchard est pour sa part ahurissant dans la peau du leader du petit groupe, paradant torse nu, exsudant la menace, ses yeux bleus de prédateur toujours froids même pendant ses rares sourires, ayant les airs d’un Tim Roth psychopathe, qui fait viscéralement réagir les spectateurs.

La pièce possède une certaine parenté thématique avec le court métrage My sweet satan de Jim Van Bebber, réalisé en 1994 et inspiré d’un fait divers, dans lequel un groupe de jeunes impliqués dans un culte satanique assassine aléatoirement un autre adolescent qui se trouvait là, simplement au mauvais endroit au mauvais moment.

Le texte du dramaturge suédois Lars Noren a été adapté par la troupe de La Brute qui pleure, dont il s’agit d’une première production, pour inclure un élément d’actualité et ancrer le langage au Québec, mais son esprit nous prouve que l’auteur, actif depuis 1963, n’a rien perdu de son sens de l’observation très incisif des mouvements sociaux. La pièce date de 2003, mais est en réalité tout à fait intemporelle.

Froid est présentée dans la salle intime du Théâtre Prospero jusqu’au 4 novembre.

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