Avec ce « show sur la vérité », le créateur met en scène un groupe hétéroclite d’individus qui n’ont presque rien en commun, outre leur envie de ne plus mentir, et leur soif quasi désespérée de franchise. Ils ont tous été « recrutés » par un leader charismatique, Luc, qui affectionne particulièrement le jeu « Jean dit », et qui déclare d’ailleurs dès l’ouverture de la pièce, en tentant de séduire Sonia (Émilie Gilbert) : « J’ai un gros pénis. Ça va changer ta vie. »
Dans une suite de petits tableaux où les méthodes de persuasion de Luc deviennent un peu répétitives, un processus cher à Choinière et dont il avait déjà exploré les effets dans Le manifeste de la jeune-fille, sa pièce de l’an dernier, le groupe se retrouve augmenté d’un prof d’histoire (Sébastien Rajotte), de Michel le sans-abri (Sébastien Dodge) et d’une docteure (Sylvie de Morais-Nogueira), entre autres. Ils deviendront au fil de la pièce une redoutable force de propagande, séduisant une animatrice, remettant en question les convictions de quiconque se trouvant sur leur chemin.
Le tout, au son d’un tonitruant band de death metal, Jean Death, qui est installé directement sur scène, et qui s’empare de certains dialogues pour les faire rugir dans la bouche des acteurs. Supergroupe formé de Sébastien Croteau (Necrotic Mutation), Mathieu Bérubé (Teramobil), Étienne Gallo (Hands of Despair) et Dominic Forest Lapointe (BARF). Leur mur de son d’une redoutable efficacité est d’ailleurs la raison pour laquelle on vous remet des bouchons à l’entrée, que certaines personnes qui se bouchaient fréquemment les oreilles n’avaient pas cru bon d’utiliser.
Il y a d’ailleurs, dans le lobby du théâtre, un kiosque où on peut se procurer des chandails avec des formules de la pièce, comme dans un show rock. Ça n’est cependant pas exclusif à Jean dit, et ça devient peu à peu la norme pour le sociofinancement des compagnies de théâtre.
Même si les protagonistes se laissent convaincre un peu trop facilement à notre goût par Luc, interprété avec une conviction presque nonchalante par Éric Forget, il est fascinant de voir l’ampleur démesurée que finit par prendre le phénomène. La vérité est manipulée dans des débats qui portent sur le bonheur, les phobies sociales, la foi, l’interprétation de l’histoire, la société qu’on qualifie de « malade ». La parole de Jean, idée abstraite au départ, prend de l’importance et devient presque un évangile, que suivent aveuglément ses disciples.
Il y a quelque chose d’un peu religieux dans cette parade de profonds sophismes qui se répercutent sur les personnages comme dans une chambre d’échos. Personne n’ose sérieusement défier leur logique, et les rares individus qui émettent des doutes se voient bientôt absorbés par la masse d’illuminés. Ils ont quelques idées plutôt valables : n’est-il pas dangereux de recycler sans cesse les opinions des autres, qui peuvent parfois être biaisées au départ? Il est manifestement difficile de discerner la vérité absolue en cette ère d’hypermédiatisation et de fake news, où chacun possède sa propre vérité, à laquelle il croit aveuglément.
On pose davantage de questions qu’on n’en élucide dans ce texte franchement contemporain, qui a parfois des allures de quête spirituelle avec un sourire en coin. Le public, fréquemment pris à partie, agit comme un témoin hébété, qui participe même un peu au processus d’endoctrinement. On retient surtout que même la logique la plus implacable, en apparence, peut dissimuler d’importantes failles.
On sort de cette messe subversive les oreilles un peu engourdies, comme si on s’était fait jeter de la poudre dans les yeux par un pasteur hagard et échevelé. Choinière, avec cette nouvelle création qui porte sa lourde signature stylistique, poursuit ainsi une longue réflexion sur le paraître et la vérité, réflexion que nous n’hésiterons pas à qualifier d’essentielle.
La pièce est présentée jusqu’au 17 mars au Théâtre d’Aujourd’hui.